accueil
index

Immun2-09: Déficits immunitaires innés et acquis: causes et manifestations

<-- cours -->

objectifs pédagogiques (*)

- définir et comparer les différents types de déficits immunitaires et indiquer leurs conséquences sur la réponse immune et la résistance aux infections
- lister et décrire succinctement les principaux déficits immuns innés (tableau 1)
- lister et décrire succinctement les principaux déficits immuns acquis (tableau 2)
- décrire les aspects particuliers de l'immunité du nouveau-né et du jeune: cf immun2-08
- conduite à tenir en cas de suspicion d'un déficit de l'immunité: cf cours immun2-10

définitions générales - messages

déficit immun (=déficit immunitaire)

Les déficits de l'immunité regroupent un ensemble hétérogène de troubles de l'immunité d'un individu plus ou moins sévères et plus ou moins durables: ils se manifestent principalement par une augmentation de la sensibilité aux infections.
- les déficits innés sont liés à des anomalies intrinsèques du système immunitaire, d'apparition précoce, tandis que les déficits acquis peuvent apparaitre à tout âge en raison de facteurs perturbant le système immunitaire (virus immunodepresseurs..).
- il existe des déficits sévères et des déficits modérés, selon que des éléments essentiels du système immunitaire sont partiellement ou totalement affectés. Les déficits les plus sévères sont liés aux anomalies des lymphocytes B et T car elles affectent l'ensemble des mécanismes de l'immunité spécifique. Dans certains cas, des phénomènes de compensation entre les différents mécanismes immuns peuvent réduire la sévérité du déficit.
- il existe des déficits permanents et des déficits temporaires (guérison spontanée ou après élimination de la cause).

immunodépression = état d'un individu souffrant d'un déficit important de l'immunité. Les principaux déficits immuns sont dus à une diminution du nombre ou de l'activité des lymphocytes, mais il existe également de nombreux autres déficits, liés à des troubles de la production des Ig, des défauts de l'activité phagocytaire ou des proliférations anarchiques des lymphocytes..
Classiquement les déficits sévères se manifestent par une fréquence élevée des infections, pouvant aller jusqu'à une infection grave et rebelle au traitement, par des germes considérés comme non ou peu pathogènes chez l'animal normal (infection opportuniste). L'immunodépression peut aussi se manifester par une incidence élevée des tumeurs (tumeurs du système immunitaire et tumeurs d'autres tissus), des allergies et des maladies auto-immunes en raison du dysfonctionnement de la régulation immune.
immunosuppression = état d'un individu présentant une baisse très significative du nombre des leucocytes (en particulier des lymphocytes): toutes les immunodépressions ne sont pas des immunosuppressions.
Les neutropénies peuvent occasionner des complications infectieuses graves chez des individus fragiles (gingivite et stomatites, entérocolite nécrosante, candidose systémique).
déficit immun inné

Un grand nombre de déficits innés ont été décrits chez l'homme (beaucoup portent le nom du premier cas/découvreur). On considère généralement une incidence de 1 cas pour 10 000 naissances/an des déficits sévères chez l'homme. Des équivalents de ces déficits ont été observés et publiés dans plusieurs espèces domestiques et sauvages, là aussi avec des incidences très faibles.
La majorité des déficits innés sont dus à des mutations dans les gènes de l'immunité, occasionnant des pertes de fonctions essentielles (absence de maturation des lignées lymphocytaires, atrophie ou dysfonctionnement thymique, absence de synthèse de cytokines..). Certains déficits immuns s'accompagnent d'anomalies dans d'autres tissus (syndrome d'ataxie-télangiectasie..). Les troubles génétiques les plus sévères affectant les cellules souches provoquent de la mortalité embryonnaire/foetale.

Les conséquences cliniques de ces déficits sont variables selon la nature de l'atteinte immune (fragilité à différents types d'infection, augmentation de l'incidence tumorale..). Même sévère, le déficit immun n'est souvent pas décelé chez le nouveau-né (compensé par l'immunité d'origine maternelle), mais apparait progressivement après le sevrage.
Les déficits immuns innés sont héréditaires: il sont le plus généralement dus à des mutations autosomiques récessives, mais il existe également des syndromes liés au chromosome X (males atteints).
Les lignées de rongeurs de laboratoire présentant des défauts génétiques de l'immunité ont contribué très largement aux connaissances fondamentales sur l'immunité et sur les mécanismes de résistance aux infections (souris nude, scid.. cf cours immun2-05). Ces lignées immunodéficients présentent des anomalies des gènes de l'immunité qui ont été identifiées (voire même créées par recombinaison homologue). Ces lignées peuvent retrouver une immunité normale par transfert de lymphocytes normaux histocompatibles ou par thérapie génique (perspectives thérapeutiques pour les maladies humaines correspondantes).
déficit immun acquis Les déficits acquis sont dus à 3 grands types de causes:
- la destruction de cellules immunocompétentes ou d'organes lymphoïdes primaires par des agents physiques, chimiques ou biologiques (neutropénie, lymphopénie..). Les atteintes peuvent concerner des cellules matures ou des cellules souches: dans ce dernier cas le déficit est particulièrement sévère et durable.
- des dysfonctionnements de l'immunité secondaires à des tumeurs du système immunitaire (leucose, leucémies..) ou des maladies du système immunitaire.
- des dysfonctionnements de l'immunité secondaires à des troubles physiologiques (carences nutritionnelles, diabète..). Les maladies chroniques, en particulier des syndromes inflammatoires, les maladies métaboliques ou les oedèmes s'accompagnent d'une augmentation de la sensibilité aux infections (le TNF et le TGF sont des cytokines diminuant l'immunité lorsque leur taux dépasse les normes physiologiques).
La destruction d'organes lymphoïdes primaires (moelle osseuse, thymus, bourse de Fabricius des oiseaux, cf cours immun1-01) s'accompagne d'une immunosuppression marquée et de longue durée, voire totale: il faut plusieurs mois pour reconstituer le système immunitaire à partir d'une greffe de cellules souches histocompatibles.
Les agents toxiques pour les organes lymphoïdes sont beaucoup plus agressifs pour les jeunes individus chez qui "peu" de cellules ont subi le processus de maturation lymphocytaire: l'immunosuppression peut être définitive (la mort par surinfections peut survenir alors dans les semaines/mois qui suivent l'agression).
immunité du jeune: déficit temporaire et importance du colostrum (cf immun2-08) L'immunité des nouveaux-nés est partielle: il faut plusieurs semaines pour que les réponses anticorps deviennent efficaces (voire plusieurs mois pour que les taux des IgA et des IgE atteignent les valeurs de l'adulte). Ce déficit inné temporaire est pallié par le transfert d'IgG d'origine maternelle, soit à travers le placenta soit dans le colostrum selon les espèces (cf cours immun2-08).
L'absorption précoce (dans les premières 24h) d'une quantité suffisante de colostrum est indispensable, surtout chez les ruminants et les équins, pour assurer la protection du nouveau-né contre les infections. Ce colostrum doit être de bonne qualité et provenir d'une mère immunisée contre les principales infections néonatales que le jeune risque de rencontrer (intérêt de vacciner la mère).
Par mesure de précaution, le nouveau-né de moins d'une semaine doit être considéré comme potentiellement "immuno-incompétent": il est nécessaire de limiter l'exposition au microbisme ambiant et aux individus qui peuvent être porteurs sains d'un grand nombre de germes (restrictions de visite et de manipulation, mesures d'hygiène..).

schémas et figures

degrés d'immunodépression (du polymorphisme individuel au SCID)
effets des immunosuppresseurs/corticoides
immunité du jeune

tableaux

tableau 1: principaux déficits immuns innés importance vétérinaire conséquences
absence de thymus ou thymus anormal (défaut de l'embryogénèse ectodermique): absence de maturation des lymphocytes T lignées de rongeurs de laboratoire "nude" utilisées en cancérologie, infectiologie et immunologie (cf immun2-05 et immun2-07).
cas chez l'homme.
déficit sévère lié à la quasi absence de lymphocytes T (pas de réponse CTL, ni de réponse anticorps secondaire, phagocytose faible)
anomalies de la production des lymphocytes T et/ou B (plusieurs gènes sont responsables de troubles, car ils interviennent dans la synthèse des Ig et des TCR ou dans la production des cytokines ou dans la régulation cellulaire). nombreuses lignées de souris de laboratoire, dont la lignée "scid" (=Severe Combined ImmunoDeficiency) utilisée en immunologie et infectiologie.
cas décrits chez le cheval et chez le chien.
déficit sévère lié à l'absence des lymphocytes T ou B, et déficit très sévère en cas d'absence combinée des T et des B (accentuée par l'absence de contrôle de l'activité NK et phagocytes).
Certains déficits ne sont pas dus à une diminution du nombre des lymphocytes, mais au contraire à un dysfonctionnement de la prolifération (lymphoprolifération anarchique et baisse de réponse aux stimulations antigéniques).
anomalies de la production des Ig cas décrits dans de nombreuses espèces. déficit plus ou moins sévère:
- déficit sévère en cas d'absence totale des Ig (ou des IgG)
- déficit modéré en cas d'absence des IgA
- déficit modéré en cas d'absence de sous-classes d'IgG (chez l'homme, ces déficits sont souvent des déficits transitoires du jeune, mal expliqués, et qui guérissent spontanément à l'âge adulte).
anomalies des cellules immuno-compétentes (déficience des enzymes lysosomiales ou de l'expression des récepteurs membranaires..) cas décrits dans plusieurs espèces (vache, chien, orque...) déficit plus ou moins sévères, affectant principalement la résistance aux bactéries pyogènes (défaut de la phagocytose).
anomalies des gènes du complément rares cas décrits chez l'homme et le chien troubles de la régulation des mécanismes de l'inflammation
anomalies héréditaires de la peau ou des muqueuses nombreux cas décrits chez l'homme (mucoviscidose..) et les animaux (chiens Sharpeï..) augmentation de la sensibilité aux infections cutanées ou muqueuses

tableau 2: principaux déficits immuns acquis importance vétérinaire conséquences
déséquilibres métaboliques et carences nutritionnelles, soit dues à une alimentation inadaptée, soit secondaires à une maladie:
- carence en zinc (nécessaire à la synthèse des hormones thymiques)
- déficit quantitatif de la ration (le système immun requiert près de 5% des apports journaliers): ration inadaptée ou difficulté d'accès à la ration.
- Au contraire, l'obésité peut également affecter l'immunité (modifications de la biodisponibilité des cytokines..).
- troubles métaboliques liées à une maladie endocrine (diabète..) ou à un syndrome inflammatoire chronique (hépatite, pancréatite, polyarthrite, tumeurs..).
cas liés à de mauvaises conduites d'élevage, maladies chroniques immunodépression chronique pouvant augmenter la sensibilité des individus aux infections, affectant surtout les animaux les plus jeunes ou les plus faibles. Plusieurs facteurs sont affectés de façon insidieuse (renouvellement et activité cellulaire, synthèse des protéines de l'immunité non spécifique, perfusion tissulaire..).
stress important et prolongé (objectivé par une augmentation durable du taux des corticoïdes). cas liés à de mauvaises conduites d'élevage
stress de transport
immunodépression chronique (réduction de l'activité ou du nombre des lymphocytes), pouvant augmenter la sensibilité des individus aux infections, affectant surtout les animaux les plus jeunes ou les plus faibles.
atteinte répétée des barrières immunes non spécifiques (poussières et agents irritants dans l'air, aliments grossiers, tartre dentaire, destruction des flores commensales par une antibiothérapie inadaptée, mauvaise utilisation de produits dermatologiques..) cas liés à de mauvaises conduites d'élevage augmentation de la sensibilité des individus aux infections, en particulier par des agents opportunistes (surtout si un manque d'hygiène augmente la charge microbienne).
µorganismes et parasites pathogènes pour le système immunitaire:
- virus immunosuppresseurs provoquant une lymphopénie ou une neutropénie (parvovirus canin et félin, virus de Gumboro, certains herpesvirus..)
- virus provoquant des tumeurs du système immunitaire (rétrovirus oncogènes type FeLV, et virus des leucoses aviaires..)
- rétrovirus des immunodéficiences (FIV..)
- toxines bactériennes et parasitaires ayant des effets neutropéniants ou lymphotoxiques .
grande importance en médecine des carnivores, des ruminants et des oiseaux immunodépression ± sévère selon l'agent infectieux en cause. Les surinfections par des agents opportunistes sont des complications sévères et fréquentes.
mauvaise utilisation de médicaments du système immunitaire:
- agents immunosuppresseurs (cyclosporine..)
- surdosage de glucocorticoïdes (surtout lors d'administration à des jeunes individus).
erreurs thérapeutiques immunosuppression ± sévère selon le produit et la dose reçue.
Les glucocorticoïdes ont surtout une toxicité élevée pour le système endocrine (syndrome de Cushing iatrogène), mais ils sont également responsables de troubles nerveux (agitation..) et immuns (immunodépression).
agents chimiques ou physiques toxiques pour les cellules:
- irradiation des organes lymphoïdes primaires (mauvaise utilisation de sources radioactives..)
- complications des traitements anticancéreux (lymphopénie ou neutropénie causée par certains anti-mitotiques)
- aplasie médullaire due au chloramphénicol (rare mais très grave)
accidents immunosuppression plus ou moins sévère (accompagnée dans certains cas d'atteintes d'autres lignées cellulaires sensibles).
tumeurs du système immunitaire (leucémies..).   augmentation de la sensibilité des individus aux infections, en particulier par des agents opportunistes
asplénie (chez l'animal: le plus souvent par ablation de la rate suite à un accident)   augmentation du risque de septicémie lors d'infections bactériennes

élements d'application et de raisonnement

En médecine humaine, les déficits immunitaires représentent un enjeu majeur de santé publique:
- le virus HIV (responsable du SIDA) est un fléau mondial, responsable d'une mortalité précoce en raison principalement des surinfections, mais aussi des tumeurs, conséquences de la baisse de l'immunité.
- la malnutrition, surtout chez les enfants, est à l'origine d'un cercle vicieux provoquant une hypotrophie et une mortalité infantile importante: la malnutrition entraine un déficit immunitaire chronique qui favorise les infections, provoquant une malnutrition (moindre alimentation, mauvaise assimilation..).
- les déficits immunitaires innés sévères, heureusement rares, nécessitent une prise en charge hospitalière lourde ("enfants-bulle") et une surveillance médicale durant toute la vie de l'individu.
Les traitements immunosuppresseurs destinés à prevenir le rejet des greffes ou à détruire une tumeur immune doivent nécessairement s'accompagner d'une surveillance continue des infections.
Idéalement, l'immunodépression doit s'apprécier sur des critères quantitatifs (nombre des lymphocytes circulants, taux d'Ig..), ce qui n'est pas toujours fait en pratique, surtout en médecine vétérinaire. De ce fait, le terme d'immunodépression est souvent utilisé abusivement par le public. Il faut signaler aussi que les intervalles d'interprétation des numérations formules sont larges chez les animaux domestiques: il est difficile de trancher entre une immunodépression vraie et une fragilité momentanée lorsque l'individu présente des valeurs seuils.
La qualité des barrières cutanées et muqueuses et de la flore commensale est un élément important de la résistance aux infections. Les atteintes extensives de ces barrières (brulures, plaies étendues..) sont fréquemment compliquées par des infections graves.

références et cours disponibles

- immunodéficits des rongeurs de laboratoire: http://www2.vet-lyon.fr/ens/expa/immuno_labanim/immuno_def.htm
association des malades d'immuno-déficience primitive: http://www.associationiris.org/index.php3
- maladies du système du C: http://fr.wikipedia.org/wiki/Syst%C3%A8me_du_compl%C3%A9ment

page réalisée par le Dr Delphine Grézel, VetAgro Sup, Campus Vétérinaire de Lyon, le 5/12/11 . Merci pour les corrections, commentaires et suggestions ( delphine.grezel@vetagro-sup.fr)