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Immun2-14: Rejet des greffes et accidents de transfusion en médecine vétérinaire

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objectifs pédagogiques (*)

- citer les règles de la transplantation et décrire les principales expériences historiques; identifier les principaux antigènes à l'origine de rejets de greffe
- définir et décrire les applications en médecine humaine et vétérinaire des autogreffes, allogreffes, xénogreffes
- décrire (à titre de culture générale) les principaux modèles de greffe effectués chez la souris et leur intérêt
- décrire (à titre de culture générale) les principes du don d'organe en médecine humaine, les mécanismes du rejet de greffe et les principaux traitements anti-rejet

définitions générales - messages

greffe et transplantation La greffe consiste à prélèver un tissu ou un organe chez un donneur pour l'implanter chez un receveur sans établir chirurgicalement de connections/anastomoses vasculaires (par exemple: la peau, la cornée, la moelle osseuse...).
La transplantation est beaucoup plus élaborée que la greffe, car elle nécessite le rétablissement chirurgical de la continuité de structures (vaisseaux..), de façon à retrouver les fonctions (rein, coeur, foie, pancréas, poumon, coeur-poumon...).
transfusion sanguine La transfusion sanguine n'est pas à proprement parler une greffe: la transfusion consiste à fournir des hématies/plaquettes à un donneur, mais il s'agit de cellules anuclées, qui ont une durée de vie limitée et ne s'implantent pas. Les hématies et plaquettes n'expriment pas de CMH, et les contraintes de rejet des tissus ne s'appliquent pas; en revanche, il faut tenir compte des variations des groupes sanguins.
anticorps naturels = anticorps produits spontanément par l'organisme, en l'absence de stimulation antigénique précise: il s'agit le plus souvent d'IgM reconnaissant des sucres complexes. Ces anticorps peuvent poser problème pour la transfusion (anticorps anti groupe sanguins) ou les greffes.
rejet de greffe Un tissu non histocompatible est rapidemment rejeté par des mécanismes immuns. En médecine humaine, les statistiques de survie post-greffe sont communiquées aux patients (nécessité d'information et de prise en charge psychologique).
On observe différents types de rejet en fonction de la chronologie et des mécanismes immuns impliqués (tableau1). Ces mécanismes de rejet/tolérance font l'objet de très nombreux travaux, depuis les expériences de Burnett et Medawar (Prix Nobel, 1960), jusqu'aux recherches actuelles.
GVH (réaction "greffon versus hote") = réaction agressive sévère et généralisée de tissus lymphoïdes du donneur contre l'organisme du receveur. Il s'agit d'un cas particulier du rejet de greffe: les lymphocytes provenant du greffon peuvent reconnaitre comme étrangères les cellules normales du receveur, proliférer à leur contact et les attaquer. Il est indispensable donc de prendre des précautions considérables pour limiter ce risque:
- impossibilité de greffer des tissus lymphoïdes matures entre donneurs non histocompatibles (utilisation de cellules précurseurs pour effectuer une greffe de moelle osseuse, de façon à reproduire les mécanismes d'éducation thymique pour limiter la GVH)
- préparation d'un organe avant transplantation pour détruire tout leucocyte circulant à l'intérieur (perfusion du greffon par des anticorps anti-lymphocytes..).
autogreffe Greffe d'un tissu d'un individu à lui-même: l'autogreffe est pratiquée souvent en médecine humaine et vétérinaire. On distingue 2 principes:
- à un emplacement différent (greffe de petits lambeaux cutanés prélevés dans une zone saine au niveau d'une zone lésée pour induire une re-epithelisation et une cicatrisation plus rapide).
- à un temps différent, pour restaurer une fonction qui est momentanément perdue (conservation d'un organe/tissu in vitro puis réimplantation: c'est le cas des greffes de moelle osseuse ou d'ovaire pratiquées chez un patient subissant une chimiothérapie ou une radiothérapie anticancéreuse).
L'isogreffe (ou greffe syngénique) est un cas particulier: il s'agit d'une greffe entre 2 individus totalement histocompatibles (jumeaux monozygotes, lignées de souris consanguines..).
allogreffe Greffe d'un tissu entre 2 individus d'une même espèce: toute la stratégie de la greffe consiste à identifier dans le temps imparti un donneur présentant un degré très élevé d'histocompatibilité (la similitude totale est exceptionnelle).
- la chance de trouver un donneur compatible est élevée entre personnes apparentées: un nombre élevé d'antigènes du CMH peuvent être partagés entre des personnes d'une même famille, puisque les haplotypes du CMH sont transmis en bloc (transmission mendelienne).
- la chance de trouver un donneur compatible entre personnes non apparentés est très faible (même si on est capable maintenant de fournir la fréquence statistique de la distribution des allèles du CMH au sein d'une population donnée cf fig 11 immun1-10).
L'acceptation plus ou moins prolongée d'une allogreffe dépend de nombreux facteurs:
- du degré d'histocompatibilité ± élevé entre le donneur et le receveur
- du type de tissu greffé/richesse en cellules immunocompétentes (la peau est rejetée fortement, tandis que la cornée et des organes comme le foie, le rein ou le pancréas sont mieux tolérés)
- de la qualité du protocole de greffe, et en particulier de la qualité des actes chirurgicaux (La souffrance cellulaire du greffon en cas d'anoxie ou de choc thermique libère des signaux pro-inflammatoires qui participent à l'activation des lymphocytes alloréactifs). C'est pourquoi les greffes et transplantations doivent être pratiqués par des équipes très compétentes selon des protocoles très rigoureux (durée limitée de survie des organes "donnés").
- du traitement anti-rejet
xénogreffe Greffe d'un tissu entre 2 individus appartenant à 2 espèces différentes. En raison de la pénurie d'organes disponibles chez l'homme, une recherche importante a lieu pour réussir des xénogreffes entre le porc et l'homme. Toutefois, l'obstacle principal est la présence chez l'homme d'anticorps naturels provoquant un rejet suraigu des cellules porcines (toutes les espèces mammifères sauf l'homme expriment des sucres particuliers à la surface des cellules).
traitements anti-rejet Les greffes non histocompatibles (allogreffes) nécessitent un traitement continu destiné à supprimer l'activité des lymphocytes alloréactifs. Les traitements anti-rejet doivent combiner plusieurs stratégies :
- préparation du greffon (destruction des leucocytes, à la fois pour détruire les lymphocytes qui pourraient entrainer une réaction de GVH, et pour éliminer les cellules qui expriment des antigènes du CMH de classe II)
- traitement immunosuppresseur dès le début de la greffe et post-greffe "à vie". Il existe en médecine humaine des immunosuppresseurs à activité sélective, qui permettent une survie prolongée des patients, allant jusqu'à plusieurs dizaines d'années; ces molécules sont le plus souvent utilisées en association pour obtenir une synergie d'action. Néanmoins, ces traitements doivent être pratiqués sous surveillance médicale régulière car il faut ajuster souvent les doses et car ils peuvent occasionner des complications importantes (diminution de l'immunité anti-tumorale et anti-infectieuse..).
tolérance de greffe Les plus grands espoirs thérapeutiques reposent sur l'induction d'une tolérance immune durable qui permettrait de pratiquer une greffe non compatible sans traitement anti-rejet (ou du moins avec un traitement de courte durée ou un traitement minimal). La tolérance immune, pour l'instant, n'a été obtenue que dans des modèles complexes d'immunologie expérimentale.

schémas et figures

transfusion en médecine vétérinaire
types de greffe
principaux mécanismes de rejet

tableaux

tableau 1: types de rejet

rejet suraigu rejet aigu rejet chronique GVH
délai de rejet immédiat, dans les 24h post-greffe environ 5 jours après la greffe (plus ou moins rapide selon le tissu) après 20j (voire au bout de plusieurs mois) s'amplifiant progressivement
manifestations forte inflammation et nécrose immédiate du greffon (thrombose..) inflammation locale s'amplifiant progressivement jusqu'à la nécrose complète du greffon (avec éventuellement des signes généraux et une thrombose dans les tissus adjacents au greffon) inflammation et nécrose généralisée
antigènes reconnus antigènes de surface des cellules du greffon (antigènes du CMH de classe I, groupes sanguins..) antigènes "majeurs" d'histocompatibilité (antigènes du CMH de classe I et de classe II exprimés constitutivement par la plupart des cellules du greffon) antigènes "mineurs" d'histocompatibilité (antigènes du CMH de classe II exprimés de façon transitoire par le greffon, autres antigènes polymorphes intracytoplasmiques ..) antigènes non compatibles exprimés à la surface des cellules du receveur
principaux mécanismes activité anticorps: destruction des cellules de la greffe par les anticorps en présence du complément et par ADCC.
activité CTL intense
activité NK plus ou moins intense selon le degré d'histocompatibilité
production d'anticorps
activité CTL modérée
production de cytokines inflammatoires par les lymphocytes T
fonction du type de greffe, selon la nature des lymphocytes "donnés"
cinétique Les anticorps peuvent être:
- des anticorps naturels spontanément présents (anticorps contre les groupes sanguins..)
- des anticorps issus d'une sensibilisation préalable (essais répétés de greffes)
on observe l'activation en parallèle des lymphocytes alloréactifs B, TCD4, TCD8, NK. Les lymphocytes TCD4 produisent des cytokines qui amplifient l'activité CTL et NK. La réaction peut évoluer très différemment selon la nature des lymphocytes impliqués (TCD4 principalement)
Il s'agit souvent d'une complication tardive par des mécanismes d'hypersensibilité mal expliqués (anomalies de l'expression des protéines membranaires par le greffon?)
 
risque vital +++ (forte inflammation) ++ à +++ (selon que l'organe greffé est d'importance vitale ou non) + à +++ (selon que l'organe greffé est d'importance vitale ou non) +++ (forte inflammation)
traitement anti-rejet impossible possible possible impossible
prévention recherche des anticorps préexistants chez le receveur typage du CMH (sélectionner un donneur présentant un degré d'histocompatibilité élevé) ; préparation du greffon.

tableau 2: traitements anti-rejet

corticoïdes cyclosporine azathioprine anticorps anti-lymphocytaires (nombreuses formulations avec des ≠ en terme d'efficacité et d'effets indésirables) anticorps anti-cytokines ou anti-récepteurs de cytokines (et autres molécules antagonistes)
indications selon les doses et les protocoles d'administration (durée, voie, associations..) , on peut obtenir soit une immunosuppression:
- générale (destruction des lymphocytes ou inhibition de l'activité CTL/NK)
- ciblée (destruction ou inhibition des lymphocytes alloréactifs tout en conservant l'immunité générale
mécanismes réduit l'inflammation et diminue l'expression des antigènes du CMH II (diminution de l'activation des TCD4) diminution de la production de cytokines par les TCD4 diminution de la prolifération des lymphocytes activés destruction ciblée des lymphocytes des différentes sous populations, selon leur fonction et leur état d'activation diminution de l'activité CTL ou NK
avantages/inconvénients soulage les signes cliniques (amélioration de l'activité du greffon), mais réduction importante de l'immunité anti-infectieuse aux doses immunosuppressives effet progressif mais trop général très efficace (mais immunosuppression marquée et risquée en cas d'infection ou de tumeur) très efficace (mais immunosuppression marquée et risquée en cas d'infection ou de tumeur) uniquement au stade de la recherche
remarque: de nombreuses molécules sont actuellement en phase d'essai clinique chez l'homme ou en cours de développement dans les modèles expérimentaux.

 

élements d'application et de raisonnement

Les allogreffes et xénogreffes sont pratiqués couramment chez la souris, en utilisant des lignées immunodéprimées (telles que des souris "nude" ou "scid"). Il est même possible de créer des animaux chimériques qui dans un corps de souris présentent des tissus fonctionnels humains (système immunitaire, foie..). Ces modèles murins sont très utiles à la recherche, pour compléter les techniques de culture in vitro, par exemple:
- pour identifier les facteurs de croissance et cytokines nécessaires à la croissance et à la différenciation cellulaire.
- pour confirmer in vivo les effets anticancereux de molécules ayant démontré un pouvoir in vitro (greffes de cellules tumorales murines ou humaines).
La pénurie des organes et la complexité des protocoles a conduit à la mise en place de stratégies internationales en médecine humaine:
- sensibilisation des donneurs potentiels pour favoriser le don (ante ou post mortem); recherche des donneurs apparentés
- méthodes harmonisées de typage par des laboratoires de référence, constitution de banques de données et modélisation statistique de l'histocompatibilité
- constitution de "listes d'attente" qui sont diffusées (réseaux nationaux et internationaux de dons d'organes et de greffes), et règles d'attribution des greffons/transplants
- chaine d'acheminement des tissu et organes (raccourcir au maximum le délai entre le don et la greffe)
Les attentes thérapeutiques en matière de greffe et transplantation suscitent des travaux très complexes:
- on a créé des lignées de porcs transgéniques qui, comme l'homme, sont déficients dans l'enzyme de glycosylation alphaGal des protéines membranaires: les cellules de ces animaux ne donnent pas lieu au rejet suraigu liés aux anticorps naturels. Une étape ultérieure dans la création de porcs donneurs d'organe seraient de modifier leur CMH pour le remplacer par des antigènes non polymorphes du CMH humain.
- la tolérance obtenue chez le nouveau né est un domaine très novateur, mais qui nécessitera d'être transposé chez l'adulte (on ne sait pas forcément si on aura besoin d'une greffe des années plus tard!).
- les études sur les cellules souches et embryonnaires ouvrent des perspectives sur les possibilités de reconstitution de tissus endommagés ou absents
- les biomatériaux et la robotique sont des alternatives très développées
La décision thérapeutique résulte d'un compromis bénéfice/risque entre la greffe et l'immunosuppression:
- une greffe non histocompatible peut-être envisagée avec un traitement immunosuppresseur lourd, malgré les problèmes, pour répondre à une exigence vitale (greffe de coeur, poumon ou foie): durée de survie ± longue
- la greffe -de même que la transfusion- impose des contraintes sanitaires importantes en matière de contamination des greffons (absence d'opportunistes susceptibles de provoquer une infection sévère chez une personne recevant un traitement anti-rejet, surtout lors de la phase du traitement d'attaque souvent fortement immunosuppresseur: cytomegalovirus, toxoplasmose, bactéries opportunistes ..)

références et cours disponibles

pour en savoir plus :
- http://microvet.arizona.edu/Courses/MIC419/Tutorials/transplantation.html

page réalisée par le Dr Delphine Grézel, VetAgro Sup, Campus Vétérinaire de Lyon, le 5/12/11 . Merci pour les corrections, commentaires et suggestions ( delphine.grezel@vetagro-sup.fr)